Sociologie : La jeunesse périurbaine

Trois étudiantes du département de sociologie de l’unité de formation et de recherche « Arts et Sciences Humaines » de l’université de Tours présentent leur analyse.

Quels déterminants sociaux et territoriaux participent à la création de l’environnement et de ses représentations au sein d’une adolescence périurbaine ?

Nous avons choisi par ce support audio, de présenter une analyse sociologique des représentations des rapports et des réalités diverses entre la jeunesse et les acteurs qui les accompagnent au sein d’un territoire périurbain.

L’objectif est d’entrecroiser les trois échelles à travers les propos que nous avons récolté durant notre enquête. Ainsi, portée par l’université de Tours et par la CAF d’Indre-et-Loire, il est proposé une réflexion autour des thématiques d’ancrage et de sociabilité territoriale de l’adolescence d’Azay-le-Rideau. Vous rencontrerez, donc, les accompagnant professionnels Bastien et Benjamin ainsi que l’intervenant Paul, et enfin, les cinq jeunes rencontrés : Ambre, Louane, Fiona, Rémi, Timothée.

La notion de réalité est intervenue au fur et à mesure des différents échanges, ainsi certains clivages peuvent être observés entre les individus concernés par les politiques de la jeunesse, soit les élus qui les proposent, les animateurs qui les produisent, et les adolescents qui les utilisent. Les actions mises en place nécessitent une coordination des professionnels ayant connaissance du quotidien de leurs jeunes et de la capacité technique de leur territoire.

La multiplication des rôles des animateurs s’inscrit comme une double casquette, les enquêtes ayant décrit leur position professionnelle à travers certains paradoxes. Il semble qu’il y ait deux combats à mener : les animateurs sont confrontés à la fois au besoin et aux attentes des jeunes, mais sont également dépendants des changements de municipalités.


Paul n’étant pas un représentant professionnel officiel de la jeunesse, son discours apparait comme très politique. On voit se développer un regard extérieur qui dénonce l’organisation inter-municipale formelle restreignant parfois même les interlocutions.

Cette incertitude transparaît dans les discours et dans les décisions, les professionnels oscillant continuellement leurs pratiques en fonctions des individus avec lesquels ils travaillent.

Comme le dit Florence Abadie, l’accompagnement des jeunes vers leur autonomie s’effectue par le biais de politiques en faveurs de la jeunesse à travers l’éducation, la formation, l’insertion sociale et professionnelle. La crise sanitaire actuelle prouve que la jeunesse n’est pas un groupe social fixe et que les acteurs de la jeunesse doivent continuellement composer ensemble avec ce devoir d’accompagnement des adolescents au travers de leur diversité. La fracture entre les élus et les animateurs persiste face à cette nécessité d’adaptation confrontée à la méconnaissance du territoire.

La nécessité semble résider dans la communication interprofessionnelle, la double perception correspond à des réalités parallèles entre les professionnels de la jeunesse. En effet, le phénomène d’acculturation suggéré lors des entretiens, illustre un décalage entre la jeunesse d’aujourd’hui, et les décision prises par les municipalités. Les élus apparaissent comme distancés du quotidien des adolescents, dans un processus d’appropriation des codes formels de la politique. Ces individus ont-ils oublié leur propre jeunesse ?

D’un côté, on va avoir de élus qui manquent de considération envers cette partie de leur population, soit le décalage que nous venons de souligner au travers des représentations du réel fossé, et d’un autre côté, les jeunes vont considérer cela comme une ressource matérielle sans pour autant s’investir et communiquer leurs demandes et leurs besoins. Paul a donné justement l’exemple d’un projet ayant vu le jour : l’histoire du city-stade résonnant comme une participation effective des jeunes de la commune à la vie locale.

Ici, le rapport entre les deux réalités étudiées éclair la continuité entre la politique publique et la jeunesse. Cependant, comment appliquer cela au territoire et ses usagés ?

Ici [l’entretien de Bastien], Bastien introduit un aspect territorial basé sur l’observation et la compréhension du public, la réalisation d’un diagnostic de territoire apparaît comme centrale dans la compréhension du public jeune par les acteurs de la jeunesse. L’environnement appréhendé leur permet d’orienter leurs pratiques au travers de leurs différentes trajectoires professionnelles. Dans leur enquête, Julien Virgos, Christophe Dansac et Cécile Bacher évoquent même des déterminants temporels et des dynamiques propres à chaque rôle et mission, appuyant la pluralité de leurs fonctions : médiateur, pédagogue, accompagnateur…

Comme introduit par le psycho-sociologue Serge Moscovici, les représentations sociales sont construites et appréhendées au travers de déterminants sociaux et collectifs. Ainsi, les valeurs, les croyances, les comportements sont marqués par un effet de groupe participant au fondement de l’identité sociale des individus. Appliqué à la jeunesse, il est partagé des idées préconçues que les acteurs cherchent à déconstruire par leur investissement. Ils entrent dans une description de ce qu’ils ont pu observer et se revendiquent contre la généralisation de l’adolescence.

Les structures et les animateurs deviennent des points essentiels de la construction de l’identité territoriale, car c’est par la fréquentation et la pratique que l’on donne et favorise son ancrage à un lieu. La sociologue France GuérinPace développe ce qu’elle appelle le « patrimoine identitaire géographique » de chacun au travers de plusieurs déterminants, à savoir, les lieux constitutifs de marqueur d’émotion, de souvenir et de temps. Les acteurs de la jeunesse apparaissent alors comme référents par la création de liens avec les adolescents locaux, la volonté de ces professionnels est de devenir le point de rencontre d’un public qu’ils affectionnent.

Comme ont pu l’exprimer certains professionnels rencontrés, la personnalité de l’animateur semble beaucoup jouer dans la rencontre avec les jeunes. Ceux-ci valorisent un accompagnement dans le temps afin de favoriser l’échange et la découverte des appétences et des envies de leur public. Cela s’observe notamment par un effet d’âge, mais aussi au sein des rapports genrés et instinctifs. Leur diversité [des jeunes] semble correspondre à la pluralité des appréhensions du métier et du public, dont on peut noter les convergences autour des façons d’être et de faire des animateurs. Cependant, leur dynamique commune est de miser sur le dialogue et la confiance afin d’aborder des thématiques intimes pas toujours évoquées au sein des cercles familiaux. Benjamin nous donnait l’exemple de la contraception, la sexualité et l’addiction.

Dans leur rapport aux jeunes, la relation prédomine sur la programmation. Pour cela, leur mission principale est d’offrir un espace adapté permettant la création d’un réseau de sociabilité officiel.

L’appropriation de certains lieux est favorisée par la perception et l’usage, la fréquentation et la pratique, ainsi, chaque individu va donner une valeur individuelle aux espaces en fonction de son propre intérêt. Les jeunes, ici, s’identifient aux structures qui rassemblent davantage leurs besoins. Leurs choix s’orientent vers les créations de groupes de pairs dans des milieux familiers qu’ils ont connu sur la longueur.

Les activités proposées attirent les jeunes en fonction des centres d’intérêt du groupe. Au sein des entretiens réalisés avec les jeunes, les termes « ensemble » et « nous » sont beaucoup ressortis, induisant que ce sont les relations sociales qui régissent les pratiques.

Nous pouvons également noter la volonté des adolescents de se retrouver dans des lieux moins formels éloignés du regard des adultes. Comme nous l’avons vu précédemment, les acteurs de la jeunesse mettent en place des structures éducatives et des lieux de loisirs. Cependant ces espaces peuvent être vus comme inadaptés, trop encadrés, trop petits ou encore trop visibles.

Universalis rappelle dans sa définition de l’éloignement des adultes, que les adolescents passent en moyenne trois heures par jour, sans leurs parents, ou sans la présence d’autres adultes. Pour nos enquêtés cela se vérifie par les lieux symboliques qu’ils se sont appropriés, et par les moments rencontrés amicaux qu’ils évoquaient.

Parallèlement, on trouve dans le second une appropriation de lieux passant par le détournement de leur fonction première. En effet, ces pratiques que l’on pourrait qualifier de déviantes, au vu de leurs profils de mineurs, s’effectuent dans des espaces reculés et des moments entre pairs.

Les structures ne sont donc pas les seuls facteurs de socialisation pour les adolescents ici, ceux-ci créant des espaces d’entre-soi par groupes de pairs, dans une dynamique d’éloignement de la réalité des adultes. Julian Devaux a notamment travaillé sur les effets de genre et d’âge au sein des pratiques de mobilité quotidienne d’adolescents ruraux. Pour lui les jeunes en fin d’adolescence reconfigurent leurs relations sociales à travers une plus grande mixité de leur groupe de pairs. Au cours de nos entretiens, nous avons ainsi remarqué une large diversité des groupes, à la fois en termes d’âge et de genre.

Si la différence de genre existe dans l’éducation, le sport, le monde de l’emploi et encore bien d’autres domaines, elle est aussi présente dans la mobilité des jeunes sur les territoires périurbains. Les déplacements et les espaces extérieurs à la commune semblent également socialement genrés, les garçons se déplacent en scooteur ou en voiture et se distinguent des filles, qui partent plus souvent à la grande ville par les transports en commun ou accompagnées par les adultes.

Nous pouvons noter [à propos du dernier entretien] une nouvelle appropriation extérieure à la zone résidentielle correspondant à l’évolution de la socialisation. La question de mobilité quotidienne induit l’ensemble des déplacements réalisés par les individus et les objets matériels dans un rapport social au changement de lieu, les jeunes étant amenés à se déplacer avant tout pour des raisons scolaires et professionnelles. Le milieu dans lequel il se construit [l’adolescent(e)] est caractérisé par une rareté des services à proximité du lieu de domicile, à un allongement des distances entre le domicile et le travail ou encore son lieu d’étude. Comme dit précédemment, l’attache à un territoire est entretenue par de nombreux facteurs psycho-sociaux et géographiques, le lieu de résidence reste marqué par les évènements vécus, mais également par la présence des groupes familiaux et amicaux, les jeunes qui partent projettent ainsi leur scolarité comme une étape et envisagent un retour.

Les jeunes connaissent la ville de Tours à travers leur projections futures en termes d’études et de découverte. Pour les plus jeunes, ces déplacements passent avant tout par la culture et les loisirs, qui y sont plus nombreux dans les grandes villes. L’appréhension des parents au territoire participe à celle des adolescents dans un effet de transmission intergénérationnelle. Leur attache sera donc continue par cette socialisation, les amenant à revenir sur Azay-le-Rideau, ou sur un territoire périurbain semblable.

L’objectif de cette enquête est de comprendre les déterminants sociaux et démographiques constitutifs de l’environnement et des représentations des jeunes, nous avons pu constater que de nombreux acteurs participent au développement identitaire et territorial des adolescents, par la mise en lumière des différents domaines liés à la politique de la jeunesse. Il a été nécessaire d’en tirer les trois réalités rencontrées, d’une part chez les adultes, les élus et les animateurs qui oscillent entre coordination et méconnaissance face à leur public spécifique, de l’autre, l’adolescence périurbaine construit son rapport à son environnement au travers de ses besoins et de ses attentes, pas forcément considérées et adaptées aux moyens de la commune.

Dans l’idée, ces trois échelles sont interdépendantes afin d’encourager la bonne organisation d’un territoire et de ses habitants. Ce projet éducatif d’accompagnement suffira-t-il à ancrer les jeunes sur leur territoire ? À leur donner envie d’y rester ?